mardi 27 septembre 2011

"L'armée furieuse" de Fred Vargas

"Cette nuit-là, dit-elle lentement, Lina a vu passer l’Armée furieuse.
- Qui ?
- L’Armée furieuse, répéta la femme à voix basse. Et Herbier y était. Et il criait. Et trois autres aussi.
- C’est une association ? Quelque chose autour de la chasse ?
Madame Vendermot regarda Adamsberg, incrédule.
- L’Armée furieuse, dit-elle à nouveau tout bas. La Grande Chasse. Vous ne connaissez pas ?
- Non, dit Adamsberg en soutenant son regard stupéfait.
- Mais vous ne connaissez même pas son nom ? La Mesnie Hellequin ? chuchota-t-elle.
- Je suis désolé, répéta Adamsberg. Veyrenc, l’armée furieuse, vous connaissez cette bande ? La fille de Mme Vendermot a vu le disparu avec elle.
- Et d’autres, insista la femme.
Un air de surprise intense passa sur le visage du lieutenant Veyrenc. Comme un homme à qui on apporte un cadeau très inattendu. - Votre fille l’a vraiment vue ? demanda-t-il. Où cela ?
- Là où elle passe chez nous. Sur le chemin de Bonneval. Elle a toujours passé là.
- La nuit ?
- C’est toujours la nuit qu’elle passe.
Veyrenc retint discrètement le commissaire.
- Jean-Baptiste, demanda-t-il, vraiment tu n’as jamais entendu parler de ça ? Adamsberg secoua la tête.
- Eh bien, questionne Danglard, insista-t-il.
- Pourquoi ?
- Parce que, pour ce que j’en sais, c’est l’annonce d’une secousse. Peut-être d’une sacrée secousse."

 Enfin un nouveau Fred Vargas! Nous retrouvons avec délice les personnages habituels, (Adamsberg, Danglard, Rétencourt, etc) leurs petites manies et leurs caractères bien particuliers. Ils sont comme toujours accompagnés d'une ribambelle de personnages secondaires, tous plus atypiques les uns que les autres.
L'action se déroule en Normandie et si, en bonne normande, j'ai parfois un peu grincé des dents devant la caricature des normands, j'ai bien apprécié l'ambiance : campagne, verdure et...vaches!!

Tous les ingrédients d'un bon Vargas sont présents dans ce dernier opus : les personnages, l'encrage dans une région, une légende : la Mesnie Hellequin, des enquêtes qui se croisent et une intrigue aux multiples coupables possibles...
Rien de bien innovant mais en même temps ce n'est pas nécessaire puisque c'est toujours une réussite!


Une bon moment de lecture.

vendredi 16 septembre 2011

"Notre-Dame-des-Lettres" de Fémi Peters

"L'adolescent, fasciné, avait écouté le guide régional leur parler d'un couvent un peu particulier qui se trouvait à l'orée du village. Un couvent qui n'accueillait que des écrivains..."

Pour la petite histoire, Notre-Dame-des-Lettres est le premier roman de Fémi Peters, qu'elle a souhaité faire voyager entre les fidèles du site Babelio. Je l'ai donc reçu dans ce cadre et je m'apprête à l'envoyer à la personne suivante!

Notre-Dame-des-Lettres raconte l'histoire de Willy, jeune garçon de 16 ans qui souhaite intégrer un couvent un peu particulier : un couvent d'écrivains. La sélection d'entrée se fait en fonction des productions littéraires du prétendant qui, après un an en tant que novice, fera vœux d'écriture, de lecture et de culture.

L'idée du livre est très bien trouvée et originale. Fémi a pensé à beaucoup de détails sur la vie dans ce couvent : la lecture pendant le repas, la chambre de frustration, les broderies sur les robes, etc. 
On a comme l'impression d'entrer dans le rêve de Fémi!!
Les personnages sont bien construits et on les suit avec plaisir : les relations, pas toujours si faciles, entre Willy et les frères et sœurs du couvent, mais aussi, ses contacts avec les quelques personnages extérieurs.

J'ai eu plus de mal à entrer dans la deuxième partie du livre. Je ne vais pas en révéler le contenu mais je n'ai pas été séduite par les idées défendues haut et fort par Willy. Cette comparaison, un peu poussée, à la religion m'a un peu dérangée même si je comprends très bien et adhère au message défendu derrière tout ça!!

Tout le livre nous montre que Fémi est une amoureuse des livres. De nombreuses citations sont présentes et bien utilisées notamment en titre pour les chapitres.

Pour conclure, un très bon premier roman qui déborde d'amour pour les livres et la littérature.

J'ai passé un très bon moment et voici l'idée qui me plait le plus : "Et si j'osais rêver, je verrais bien un couvent de lecteurs..."!!
 Vous pouvez en lire un extrait ici.
 

mardi 13 septembre 2011

"Terre de femmes, 33 voix de la poésie féminine haïtienne" Editions Bruno Doucey

"Une moisson de prix littéraires et le séisme du 12 janvier 2010 ont permis à un large public de découvrir la vitalité de la littérature haïtienne. Des écrivains comme Dany Laferrière, Lyonel Trouillot ou Gary Victor ont rejoint Jacques Roumain et René Depestre au Panthéon des identités créoles, toutes masculines. Mais qu en est-il des femmes ? Quelle place leur poésie occupe-t-elle en Haïti ? Pour la première fois, un éditeur répond à cette question. Trente-cinq voix, venues d Haïti, des États-Unis, du Québec et de France conjuguent la poésie de langue française au féminin... Et au pluriel, tant sont diverses leurs tonalités et leurs sources d inspiration. De Virginie Sampeur, née au milieu du XIXème siècle, à Kettly Mars, de Yannick Jean à Emmelie Prophète, chacune d elles ouvre le chemin d une nouvelle espérance : celle qui permet, dans le chaos que l on sait, de «dessiner des portes de sortie»."

Cet ouvrage comprend en fait, un livre et un CD. Je ne vais parler ici que de ce dernier que j'ai reçu dans le cadre d'un partenariat avec le site des agents littéraires
Un petit mot sur ce site avant de commencer : le blog a pour but de faire connaître les livres des éditeurs indépendants et des auteurs auto-édités. Il fonctionne grâce à des partenariats. Nous recevons donc des livres en échange de critiques et d'une diffusion sur différents sites afin de les faire connaître au plus grand monde.

J'ai donc reçu le CD "Terre de femmes, 33 voix de la poésie féminine haïtienne", dont les poèmes sont extraits du livre recueil, et lus par deux comédiennes :
Paula Clermont Péan, l'une des figures majeures de la scène haïtienne. Née à Cabaret en Haïti, elle a fait des études de littérature et de théâtre aux États-Unis et en France.
Céline Liger travaille pour des compagnies de théâtre vivant et aime particulièrement mettre en voix des textes poétiques.

Leurs deux voix se succèdent, sur différents rythmes musicaux pour nous faire partager les 33 poèmes de femmes haïtiennes. Ils sont tous de langues françaises mais publiés à des époques différentes de l'Histoire d'Haïti : pendant l'indépendance, l'occupation américain, la période Duvalier jusqu'à aujourd'hui, au lendemain du séisme du 12 janvier 2010.
Le livre comme le CD, ont pour but, de faire entendre la voix de femmes haïtiennes. Celles, qui, pour des raisons familiales, laissent de côté leur art, ou ne le pratique que dans les rares périodes de répit que leur permet leur rôle de femme et mère.

Les 33 poèmes choisis ont des thèmes divers mais tous nous montrent l'attachement au pays et à sa culture. Beaucoup de ces femmes vivent maintenant en France, au Québec ou ailleurs, mais leurs textes sont imprégnés de cette île : les sons, les couleurs, les odeurs, la musique, les danses, les paysages :

"S'il me fallait au monde, présenté mon pays,
je dirai la beauté, la douceur et la grâce,
de ces matins chantants, 
de ces soirs glorieux."
Marie-Thérèse Colimon (1973)

"La musique au salon
Les jeunes filles se déhanchent
Les jeunes femmes balancent mollement les hanches
Les vieilles femmes chuchotent, chuchotent..."
Célie Diaquoi-Deslandes (1969)

« La terre a soulevé mon cœur
d’un mouvement sec et violent
elle l’a déchiré
éparpillant mille morceaux
comme larmes d’oiseaux errants
aux quatre vents de mon île
et depuis
chaque nuit
j’entends les battements
hésiter à mi-chemin
entre décombres
et étoiles ».
 Évelyne Trouillot (2010)

Un bel hommage aux femmes haïtiennes, et à toutes les femmes. 
Un seul regret : ne pas avoir le livre entre les mains pour suivre plus facilement la lecture des poèmes et surtout en découvrir bien d'autres... Je vais surement me laisser tenter par un achat!

Merci aux Agents littéraires et aux éditions Sous la lime et Bruno Doucey.

lundi 12 septembre 2011

"Terezin Plage" de Morten Brask

"Dès son arrivée à Terezin en 1943, camp modèle que les nazis utilisent pour rassurer l’opinion publique sur le sort réservé aux Juifs par le Führer, Daniel Faigel, jeune médecin danois hanté par un lourd passé, se retrouve plongé en enfer. Car contrairement à ce qu’en dit la propagande allemande, les conditions de vie dans ce camp de concentration sont terribles, et la ville sert de zone de transit vers les camps d’extermination. Daniel passe ses journées à essayer d’arracher à la mort et aux déportations vers l’est quelques-uns de ses patients. Parmi eux se trouve Ludmilla. L’improbable amour qui nait entre eux leur donne à chacun la force de supporter un quotidien ponctué par la peur de faire partie du prochain convoi, dont on sait qu’on ne reviendra pas."

Voici mon premier livre de la rentrée littéraire et je remercie le site News Book et les éditions Presses de la cité pour ce partenariat.

Terezin Plage est un roman basé sur des faits réels et sur la vie de Ralph Oppenheim au camp de Terezin. Les nazis ont voulu en faire une sorte de façade pour les organismes humanitaires : activités culturelles, hôpitaux, maisons, bref, une colonie juive qui se veut libre et qui abrite des juifs célèbres (musiciens, écrivains, etc.). La réalité est tout autre bien sûr : baraquements, famine, épidémies. Le camp de Terezin a fait beaucoup de victimes et il a également servi de camp de transit vers les camps d'extermination.
Daniel, jeune médecin danois se retrouve donc dans ce camp. Le récit alterne entre sa vie sur place et des souvenirs de son passé. 
Terezin Plage décrit l'horreur des camps de concentration : les baraquements surpeuplés, la faim et le froid, etc. Daniel en tant que médecin travaille dans l'un des hôpitaux du camp : les maladies sont partout, les patients sont tellement nombreux qu'ils dorment dans les couloirs ou les escaliers. Et puis, il y a les convois et la peur de voir son nom ou celui d'un proche inscrit sur la liste.

Mais au delà de cette description, Morten Brask met surtout en avant la rencontre entre Daniel et Ludmilla, et l'histoire d'amour qui, malgré la situation tragique, va leur permettre de supporter plus facilement leur destin.
Au fil de leur histoire, Daniel se rappelle son enfance entre un père, juge à la cour suprême, très autoritaire, et une mère dépressive. 
"Je lui montre mon vieil album de photographies. Dans les moments fébriles que j'avais passés dans mon appartement, me préparant à fuir vers la Suède, cet album avait été la seule chose importante qu'il me soit venu à l'idée d'emporter."

Les sujets du livre sont difficiles mais Morten Brask les adoucit avec cette belle histoire d'amour et une écriture simple et fluide. Un nouveau récit sur la seconde guerre mondiale et notamment sur le sort des juifs danois, presque tous déportés dans ce camp de Terezin. Il s'agit du premier livre de fiction de Morten Brask, une belle réussite.

Quelques infos sur le camp de Terezin ici.

jeudi 1 septembre 2011

"Easter parade" de Richard Yates

"Filles d'un couple divorcé, Sarah et Emily Grimes vivent une enfance maussade, ballottée entre diverses banlieues petites-bourgeoises de New York, qui flattent les aspirations sociales de leur mère perpétuellement déconcertée par la vie. Elles se rêveraient bien un père éditorialiste du Sun mais comprennent vite qu'il ne sera jamais qu'un " simple préparateur de copie ". Au sortir de l'adolescence, Sarah, la préférée de leur père, la plus jolie et la plus sensible, entame une histoire d'amour avec le fils de leurs voisins, un beau parti élevé dans une école privée anglaise. Sur une photographie datée de 1941, lors de l'Easter Parade, le couple est immortalisé dans tout l'éclat de sa jeunesse. Un avenir radieux semble s'offrir à lui. Trop différentes pour être proches, les deux soeurs suivent chacune leur chemin, sans vraiment perdre le lien. Jusqu'à ce qu'une série d'événements tragiques n'oblige Emily à remettre leur relation en perspective..."

Le ton du livre est donné dès la première phrase : "Aucune des deux sœurs Grimes ne serait heureuse dans la vie."
Richard Yates brosse un portrait de l'Amérique des années 40-50, au travers des choix de vie de Sarah et Emily Grimes. Pendant leur enfance, les 2 sœurs semblent plutôt soudées face à leur vie de famille disloquée. Adultes, elles vont prendre des chemins bien différents. Sarah, l'aînée représente l'Amérique catholique et sage. Elle se marie jeune et vierge avec un jeune homme "prometteur". Ils représentent à eux deux l'image du couple modèle. Ils s'établissent dans la maison des beaux-parents et donnent naissance à 3 beaux garçons. Les apparences sont trompeuses et on comprend vite que tout ceci n'est qu'une façade pour une réalité bien triste.
Émilie, la femme libérée, collectionne les conquêtes et les boulots à la recherche du grand amour et de la stabilité, sans réussir à s'approcher de l'un ou l'autre...
Leurs chemins se croisent par moment autour du 3ème portrait de femme : leur mère.

Richard Yates a un œil très péjoratif sur la classe moyenne de l'Amérique des années d'après guerre et surtout sur la place de la femme : paradoxe entre la libération sexuelle, la réussite professionnelle et la vie de famille.  L'alcool est omniprésent, ainsi que les violences conjugales et des hommes tous plus pitoyables les uns que les autres.

Bref, un portrait bien noir et pourtant écrit avec une délicatesse et un réalisme très plaisant. La première phrase fait que nous n'attendons pas de happy end. Nous sommes de simples spectateurs de cette décadence.